2006/2012 - Doctorat : Analyse du processus de prise en charge des hommes et des femmes sans domicile
Doctorat de sociologie réalisée au sein du CERSES – CNRS – UMR 8137 – Université Paris Descarte - CNRS, sous la direction de Jan Spurk.
Consitution de la littérature, passation de 80 entretiens, 3 ans d’observations flottantes, 60 jours d’observations participantes au sein de 4 établissements d’hébergement, présence régulière sur le terrain de 2007 à 2012.
Alors que la tradition d’assistance a façonné les visions du monde contemporaines et les représentations de la pauvreté qui oscillent désormais entre assistance et répression, il est primordial pour la personne en situation de disqualification sociale de se montrer méritante. L’ambivalence de la prise en charge entraîne la sélection des personnes pauvres entre celles « valant le coup », les « bons pauvres » et celles qu’aider reviendrait à une perte de moyens (financiers, humains, matériels...), les « mauvais pauvres ». Dans le cadre de la prise en charge des personnes sans domicile, être un « bon pauvre » permet d’entrer en centre d'hébergement et d’y rester. Les visions du monde des travailleurs sociaux définissent les critères de classement entre bons et mauvais pauvres et leurs représentations des personnes inclues influent sur leurs attentes envers les personnes qu’ils accompagnent. L’identité sociale de genre joue un rôle prépondérant dans la mesure où, le genre constitue, en situation de disqualification sociale, le dernier rempart de l’identité sociale. Aussi, les normes et les valeurs liées au genre sont-elles exacerbées au cours du processus de requalification et les activités quotidiennes, la mise en œuvre de l’accompagnement et les attentes implicites en termes de comportement et de caractère sont fortement conditionnées par le sexe du « pauvre », renvoyant à des modèles traditionnels de répartition des rôles plaçant la femme à l’intérieur et l’homme à l’extérieur. Nous avons établi quatre « manières » de faire avec les processus de requalification, ces manières de faire sont fonction de la capacité à donner du sens, à partir de leur vécu, aux normes, valeurs et représentations qui imprègnent le processus. Le-la soumis-e appartient aux personnes sans domicile âgées (plus de 45 ans), il-elle vit le quotidien du processus de requalification comme un allant de soi. La comédienne a une connaissance experte de l’intervention sociale et des attentes des professionnels. Elles « jouent le jeu » car il en « vaut la chandelle », tout en le critiquant dès qu’elles en sortent, temporairement ou définitivement. Les stratégies sont d’autant plus marquées chez les mères. Peu d’hommes appartiennent à cette catégorie. Les insoumis-e-s sont aussi nombreux parmi les hommes et que les femmes, et se retrouvent essentiellement chez les jeunes hébergé-e-s et chez les hébergé-e-s âgé-e-s. Dans ces deux extrêmes, le processus normatif apparait comme insensé, démesuré et abscons, la soumission à ce modèle s’apparenterait, pour eux, à une petite mort, une mort sociale. Ainsi, le processus de requalification participe à « l’exclusion » des dispositifs des personnes qui ne peuvent donner de sens aux visions du monde véhiculées ou qui ne sauraient, tout au moins, faire semblant de les épouser.
L’intérêt de cette recherche porte essentiellement sur son approche des rapports sociaux de sexe. Le genre est rarement pris en compte dans les analyses sociologiques « sur » les S.D.F. Malgré la qualité de nombreuses recherches, Les Sans Domiciles perdent leur sexe comme en témoigne cette appellation asexuée. Mon objectif était donc de déterminer la place des représentations de genre dans la prise en charge des personnes sans domicile. Cette recherche donne alors à voir les survivances des rôles traditionnels de genre, ce qui questionne fortement puisque les travailleurs sociaux, qui sont majoritairement des travailleuSes socialEs, n’adoptent pas elles-mêmes des rôles traditionnels. L’analyse des discours montre que les éléments de genre viennent combler un processus entièrement axé sur l’accès à l’emploi, en perte de sens. Dès lors les identités de genre « rassurent ». Elles apparaissent aux yeux des travailleurs sociaux comme des éléments tangibles du travail sur soi attendu de l’intervention social et comme des normes d’inclusion intemporelles.
Plusieurs questions de recherche sont nées de ce travail : en mettant au cœur des recherches futures l’individu, je pense notamment à étudier le non-recours aux services publics (le non‑recours à la couverture maladie universelle par exemple). Un autre champ possible serait l’analyse du non-emploi associatiée à la question du coût social et économique. Très difficile à saisir, ces deux phénomènes, dans leur dimension de genre, sont mal connus.
Mots-clefs : SDF, pauvreté, exclusion, disqualification sociale, précariat, politiques sociales, intervention sociale, régulation sociale, vulnérabilité, genre, rapports sociaux de sexe, négociations